Silence, on grimpe !

Revenir aux actualités

Regards croisés : pourquoi sous-titrer vos événements en direct ?

Publié le 12 décembre 2025

Emmanuelle

Avec Céline, nous avons décidé d’écrire, à 4 mains, cet article sur le sous-titrage en direct dans les événements et réunions. Je suis sourde et Céline, entendante. Nous avions envie de vous partager notre expérience sur le sujet. Céline, peux-tu te présenter ?

Céline

Merci beaucoup Emmanuelle ! Je suis sous-titreuse professionnelle, je propose des formations au sous-titrage et à l'accessibilité et je suis aussi sous-titreuse en direct, ce qui va nous intéresser aujourd’hui !

Je travaille en indépendante depuis maintenant trois ans et je fais du sous-titrage depuis plus de 10 ans.

Je fais également partie du collectif Silence, on grimpe ! fondé par Arnaud Guillemot, qui se bat pour l’accessibilité des festivals de films.

Et toi Emmanuelle, on ne te présente plus, mais peut-être qu’il y a encore des gens qui ne te connaissent pas alors peux-tu te présenter à ton tour ?

Emmanuelle

Merci Céline ! 

Quand même, il y a sûrement des personnes qui ne me connaissent pas, je ne suis pas aussi connue que Virginie Delalande ou encore Rose Paynel. (Rires). 

Je suis née sourde et j’aime bien dire que je suis bionique avec mes deux super implants cochléaires connectées. 

Je suis développeuse depuis plus de 10 ans et je milite énormément pour l’accessibilité notamment numérique. J’aide à concevoir des sites accessibles, ce dont je me suis éclatée à faire celui de Silence, on grimpe !, notre super collectif !

Je suis également conférencière depuis 3 ans. Je donne des conférences sur l’accessibilité numérique. J’aimerais qu’il y ait de plus en plus de sites web qui soient accessibles aux personnes handicapées. C’est un sujet qui me tient à cœur.

Céline, comment es-tu arrivée à rendre accessible les événements ?

Céline

Oui, allez voir le résultat sur le site du collectif, c’est un magnifique exemple de site accessible où vous pourrez retrouver des informations et ressources sur l’accessibilité et aussi une programmation d’événements accessibles !

En ce qui concerne mon parcours, j’ai d’abord commencé par le sous-titrage de films, séries, documentaires et vidéos en tout genre. C’est ma passion depuis le lycée, qui allie à la fois ma passion pour l’audiovisuel et pour les langues, ainsi que mon envie de participer, à mon échelle, à plus de justice sociale.

Le sous-titrage accessible (Sourd et Malentendant) me permet de mettre mes compétences techniques au service de quelque chose de véritablement utile.

Et pour que mon sous-titrage soit vraiment utile, je suis partie assez vite à la rencontre des personnes concernées, c’est-à-dire des personnes sourdes et malentendantes, ainsi que dans le milieu associatif.

J’ai beaucoup appris à leur contact sur le sous-titrage de vidéos mais elles m’ont aussi rapidement fait part de leur besoin en sous-titrage en direct, c’est-à-dire d’une retranscription en temps réel lors d’événements, de réunions etc.

D’un autre côté, dans le milieu associatif, les associations me faisaient part de leur envie de rendre leurs événements plus accessibles mais de leur désarroi face à l’absence de budget qui ne permettait pas de faire appel à des vélotypistes, qui travaillent souvent au sein d’entreprises.

Il y a bientôt trois ans, une association m’a proposé de tenter de venir sous-titrer en direct leur événement, car elle n’avait de toute façon pas les moyens de faire venir un professionnel.

Je me suis entraînée pendant six mois à la transcription en temps réel avant cet événement. A la fin, j’étais capable de taper plus de 100 mots par minute et me suis aperçue que mes compétences en sous-titrage de vidéos allaient m’être très utiles pour le sous-titrage en direct, notamment la capacité de transformer des paroles en écrit clair et compréhensible. Je pouvais réutiliser toutes les techniques de sous-titrage de vidéos, mais en direct !

Avant d’arriver à ce premier événement, c’était l’angoisse totale (rires). Mais tout s’est bien passé et beaucoup de personnes m’ont remerciée, ce qui m’a beaucoup touchée.

J’ai continué à sous-titrer pour des associations avant de commencer à proposer mes services en tant que professionnelle. Aujourd’hui, je sous-titre toujours pour des associations avec un tarif associatif abordable, mais aussi pour des entreprises et des instances publiques.

J’apprends encore tous les jours grâce aux personnes concernées qui me font leurs retours régulièrement : elles m’expliquent ce que le sous-titrage en direct leur apporte, comment m’améliorer, ce dont elles ont besoin etc.

Et toi justement Emmanuelle, tu nous l’as dit, tu es sourde et tu as deux implants cochléaires. Quand utilises-tu le sous-titrage en direct et pourquoi ?

Emmanuelle

Ton parcours est super intéressant ! Je suis ravie que tu sous-titres les événements. Tu fais du bon boulot !

Pour répondre à ta question, il y a une différence entre entendre et comprendre. Si j’utilise que mes implants cochléaires, j’entends mais je ne comprends pas tout. Je lis aussi sur les lèvres mais je ne comprends que 30 % du message. Lire sur les lèvres, c’est épuisant, cela demande beaucoup de suppléance mentale et d’énergie.

Quand je lis sur les lèvres d’une personne, je dois m’approprier sa façon de parler, sa voix, sa lecture labiale, sa vitesse de parole, ses expressions faciales et l’environnement autour.

En fait, je m’approprie tout simplement sa personnalité.

Si la personne parle trop vite, c’est impossible de lire sur ses lèvres. C’est comme si tu voyais les sous-titres défiler à toute vitesse mais que tu n’as pas eu le temps de les assimiler. Tout dépend du contexte également : les mouvements des lèvres sont souvent identiques. Par exemple, lorsqu’elle dit “baba”, “papa” et “mama”, je dois réfléchir à toute vitesse selon le contexte de ce que la personne a voulu dire. Si elle n’articule pas et débite à tout vitesse : “Tu marches très vite” et moi je vais comprendre “Tu manges des frites”. En réfléchissant, tu te dis “mais pourquoi elle me dit que je mange des frites alors que je ne mange pas de frites ?”. C’est ça, la suppléance mentale.

Je vous invite à lire deux excellents témoignages de deux personnes sourdes sur la suppléance mentale : celui de Sophie Drouvroy et celui de Grégoire D.

Quand j’utilise trop la suppléance mentale, à la fin de la journée, je suis épuisée et j’ai des migraines à force de me concentrer et de faire des efforts pour suivre et comprendre.  

Avec les sous-titres, je n’ai plus besoin de m’adapter à chaque personne. Je lis tout simplement les sous-titres et j’ai accès à davantage d’informations que quand je lis sur les lèvres. 

Je ne me retrouve pas en situation de handicap car j’accède aux mêmes informations que tout le monde grâce à l’accessibilité qui m’a été proposée. Je suis en situation de handicap quand je me retrouve à faire des efforts et que je subis mon handicap. C’est pourquoi je demande systématiquement si l’événement auquel j’assiste me sera accessible ou non parce que s’il ne l’est pas, je dois me préparer. 

J’utilise les sous-titres régulièrement que ce soit en réunion, dans des événements et quand je regarde une vidéo. Les sous-titres sont essentiels pour les personnes sourdes et malentendantes. 

D’ailleurs Céline, les sous-titres sont-ils utilisés que par les personnes sourdes et malentendantes ?

Céline

Le principe de suppléance mentale est tellement intéressant et ton exemple est très parlant. Il montre bien aussi cette question de justice sociale, je trouve : pourquoi est-ce que les personnes sourdes auraient à fournir un effort supplémentaire pour assister à un événement ?

De plus, ce ne sont effectivement pas seulement les personnes sourdes et malentendantes qui utilisent le sous-titrage. Lors de sous-titrages en direct, je vois différents types de personnes l’utiliser, notamment : 

  • Les personnes qui n’ont pas accès au son, pour une raison ou une autre, par exemple en cas de surdité passagère ou si elles se sont retrouvées au fond de la salle.
  • Les personnes entendantes qui ont du mal à comprendre la langue des prises de parole, comme les personnes dont le français n’est pas la langue maternelle par exemple.
  • Les personnes qui ont du mal à se concentrer. Selon le site handicap.gouv, il y aurait environ deux millions de personnes concernées par un trouble de l’attention en France. Le sous-titrage en direct permet d’avoir un texte sur lequel fixer son attention, ce qui facilite la compréhension. Même si on n’a pas de trouble de l’attention, difficile de suivre une conférence technique de bout en bout pendant une ou deux heures, voire plus. L’écran de sous-titrage permet de rattraper le fil de l’intervention.
  • Les interprètes en langue des signes ! Il m’arrive de plus en plus souvent de travailler avec des interprètes afin que le public puisse avoir accès à la traduction en langue des signes et au sous-titrage en direct. De nombreuses fois, des interprètes m’ont expliqué que l’écran de sous-titrage leur permettait parfois de pointer des noms ou des mots techniques qui n’avaient pas de traduction en langue des signes. Moi aussi, je regarde parfois les interprètes quand je n’ai pas entendu un mot ou que je n’ai pas vu qui a parlé. C’est un travail d’équipe, au service des personnes sourdes !
  • Et pour finir… Tout le monde, finalement. Avec le sous-titrage en direct, on peut décrocher un moment puis reprendre le fil, compléter sa prise de notes avec le nom d’une personne ou un terme technique que l’on n’a pas saisi, ou simplement suivre avec une attention réduite. C’est pourquoi 85 % des utilisateurs de Netflix mettent les sous-titres sur leur programme ! (Source EN)

Plus largement, travailler à l’accessibilité d’un événement nous permet de nous ouvrir à une plus grande diversité d’opinions et de réalités, notamment en invitant des conférenciers ou conférencières avec un handicap.

Toi qui donnes des conférences sur l’accessibilité numérique, l’inclusion et le handicap, est-ce que le sous-titrage en direct a changé quelque chose dans ton expérience de conférencière ?

Emmanuelle

J’ai toujours dit que les sous-titres étaient bénéfiques à tout le monde. Tu l’as très bien expliqué. Je me souviens quand tu avais sous-titré un événement, tu avais partagé le lien de la transcription et on pouvait voir le nombre de personnes connectées. Il y avait une quinzaine de personnes qui lisait ta transcription en temps-réel alors qu’on était que deux ou trois personnes sourdes dans le public. C’est dans ces moments-là qu’on voit vraiment l’utilité.

Tu m’as posé une très bonne question ! 

Mon premier événement accessible dans le milieu de la tech, c’était Paris Web en 2012, je venais de sortir de l’école, diplômée. Sophie m’a dit : “viens à Paris Web, c’est accessible pour nous personnes sourdes !”. J’étais toute émerveillée de découvrir toutes ces conférences qui étaient vélotypées et interprétées en LSF. Puis, je vois Sophie monter sur scène, prendre la parole devant le public. Autant te dire que j’étais bouche bée. Sophie, sourde avec sa voix atypique, ose prendre la parole ! En la voyant ce jour-là, je me suis dit, un jour, je voudrais moi aussi parler en public comme elle. Devenir oratrice. Bien sûr, j’ai commencé petit. Ma première conférence en public dans une petite salle à Paris Web, c’était en 2018. Je l’ai fait parce que Paris Web était accessible. Je me suis reproduit plusieurs fois là bas jusqu'à ce qu’on me dise « pourquoi ne pas aller aussi ailleurs ? ».

Moi ? Aller ailleurs qu’à Paris Web ? Mais ailleurs, ce n’est pas accessible. Comment faire pour intervenir sans accessibilité ? Comment comprendre le public quand il pose des questions ? Comment savoir quand commencer ou quand finir ? Est-ce que le public allait me comprendre avec ma voix de personne sourde ?

Je n’étais pas sereine. Je me posais énormément de questions. Alors, je me suis inscrite au programme Tous Éloquents, qui venait de se créer, organisé par l’association Éloquence de la Différence. J’ai beaucoup appris pendant cette première édition, j’ai pris énormément confiance en moi et surtout en ma voix. 

Depuis 2023, je n’hésite plus à prendre la parole en public même quand un événement n’a pas d’accessibilité. Quand il n’est pas accessible, je mets en place Slido pour interagir avec mon public. Slido permet aux personnes de poser leurs questions à l’écrit et ainsi, je peux lire leurs questions. Je ne peux pas demander à chaque personne de s’approcher de la scène pour lire sur ses lèvres surtout si on est dans un amphithéâtre.

Je me suis rendue compte qu’à travers mes prises de parole, la représentation des personnes handicapées compte. Quand on voit une personne comme soi, ça change tout. On peut s’y identifier. Je me suis identifiée à Sophie et ça a tout changé.

Aujourd’hui, et heureusement, de plus en plus de personnes sourdes et malentendantes avec leurs voix accentuées ou atypiques, qui sont aussi leurs forces, prennent la parole en public.

Et toi, Céline, quel est l’événement qui t’a le plus marquée ? Et l’événement qui a été le plus utile ?

Céline

J’adore ! On comprend bien, avec ton parcours, l’importance de la représentation pour les personnes concernées. Pour les entendants aussi, je trouve cela très important que l’on ait accès aux voix et aux expériences des personnes sourdes. Cela nous permet de nous rendre compte des diversités des réalités vécues mais aussi du chemin qu’il reste à faire pour une société véritablement accessible.

Ouah, très bonne question, c’est très dur de choisir !

Je garde un magnifique souvenir d’une soirée organisée par la Fondation des Femmes et le journal Politis sur le sujet des violences sexistes et sexuelles. Plusieurs femmes sourdes de l’association Femmes sourdes citoyennes et solidaires étaient venues assister à la soirée, qui était interprétée et sous-titrée.

C’est un sujet qui me touche particulièrement, à un niveau très personnel. Alors avant l’événement, je me suis préparée en regardant tous les soirs des interventions des personnes qui allaient parler lors de l’événement : Judith Godrèche, Sophie Binet, des représentants de la CIIVISE etc. pour me familiariser avec les chiffres, les sujets, et surtout me désensibiliser, paradoxalement. Car quand on sous-titre, on ne peut avoir les mains qui tremblent ou la vue qui s’embrouille, même si on sous-titre parfois des sujets et des témoignages très difficiles.

C’était aussi un événement dont j’étais très fière car j’ai pu sous-titrer en direct Judith Godrèche que j’admire beaucoup et qui venait diffuser son film “Moi aussi” en SME, sous-titré par mes soins !

Pour l’événement qui a été le plus utile, c’est encore plus difficile de choisir, alors je donnerais un des retours qui m’a le plus touchée : en septembre 2025, je suis allée en Belgique, à Herve, sous-titrer en direct une pièce de théâtre, Aurore, sur la vie de Georges Sand. Cette pièce est en français et en langue des signes belge.

La salle était majoritairement remplie de personnes sourdes, signantes et non-signantes. A la fin de la pièce, un vieux monsieur est venu nous voir pour nous dire que c’était la première fois qu’il revenait au théâtre en 20 ans, car il avait arrêté d’y aller depuis qu’il était devenu sourd ! C’était la première fois qu’il voyait du surtitrage au théâtre et il était venu spécialement pour voir ça. Un grand moment d’émotion !

Depuis le début, on parle finalement d’expériences très humaines et de contact humain. Pourtant aujourd’hui, on me demande souvent si le sous-titrage en direct d’événements ne pourrait pas être fait par IA. Toi Emmanuelle, tu adores tester les nouvelles technologies. Trouves-tu qu’il y a une différence entre le sous-titrage réalisé par une IA et celui réalisé par une sous-titreuse ?

Emmanuelle

C’est super !!! J’imagine bien les émotions. L’accessibilité, ça change la vie. Pouvoir assister à une pièce comme tout le monde, c’est inestimable. C’est pouvoir dire : « j’ai vu cette pièce et je l’ai beaucoup aimé ». C’est aussi partager ce qu’on a vécu avec ses proches.

C’est drôle que tu me poses cette question parce qu’on me la pose souvent.

Oh que oui, il y a une différence. Une IA ne s’invente pas ses connaissances : elle est formée sur les données qu’on lui fournit, en grande majorité des données ordinaires, celles qui représentent la vie de tous les jours et la société. Quand j’assiste à une réunion sur un sujet du quotidien, les sous-titres automatiques sont impeccables. Mais cela dépend de la personne qui prend la parole. Si la personne a une voix atypique ou a un accent, l’IA fera deux fois plus d’erreurs car elle a été entraînée que sur des voix normales et sans accents. Ce qui est mon cas. Quand je prends la parole, l’IA ne me comprend pas très bien parce que j’ai un accent de personne sourde. 

Ensuite, cela dépend aussi du contexte et de l’environnement. Plus le sujet est technique, plus il y a d'erreurs. J’ai pu le constater à Devoxx, un événement tech. Quand il y a beaucoup d’erreurs, cela devient incompréhensible et je me retrouve à faire de la suppléance mentale pour combler les trous. Un jour, l’IA a sous-titré “il y a la réunion des déchets ce soir” alors que ça devrait être “il y a la réunion des duchesses ce soir”. Un mot peut faire toute la différence et changer sa signification. Le mot “déchets” n’a donc pas sa place, ce qui fait qu’on se retrouve à analyser ce que l’IA a voulu sous-titrer. L’IA fait même des hallucinations, ce qui peut nous induire en erreur. On se retrouve à comprendre quelque chose alors que la personne a dit autre chose.

En ce qui concerne l’environnement, la salle et le micro peuvent faire toute la différence. L’autre jour, j’étais dans une salle où il y avait beaucoup d’échos et mon outil de sous-titrage automatique a dû mal à comprendre les personnes qui prenaient la parole malgré le micro. Je vous laisse imaginer le résultat, c’était truffé d’erreurs. Je n’ai pas pu suivre leurs interventions. L’IA a fait beaucoup de progrès mais on est loin de pouvoir y compter pleinement. D’ailleurs, il est important de préciser que l’événement est sous-titré automatiquement car cela permet de nous préparer mentalement à devoir faire des efforts. C’est pourquoi je préfère largement les sous-titres réalisés par des personnes, notamment pour le direct et je n’ai pas besoin de fournir d’efforts.

Si c’était une vidéo à sous-titrer, on peut utiliser l’IA pour générer les sous-titres et la synchronisation est faite. Ce qui est super pratique ! Mais il faut systématiquement repasser sur chaque sous-titre pour vérifier et corriger les erreurs de l’IA.

Céline, en tant que sous-titreuse, tu ne m’avais pas dit un jour que corriger les erreurs de l’IA te prenait deux fois plus de temps que si tu le faisais toi-même ?

Céline

Je trouve ça super intéressant ce que tu dis sur les différents usages de l’IA. On ne peut pas l’utiliser pour tout et ton exemple montre bien que dans le cadre de certains environnements, ça ne fonctionne pas assez bien.

C’est un peu pareil pour le sous-titrage et la transcription. Pour la transcription en différé, on peut partir d’une base d’IA. Il y aura tout de même beaucoup de choses à corriger pour faire que la transcription soit accessible, je vous renvoie à l’article que j’avais écrit sur le sujet.

Pour le sous-titrage, c’est différent. Même si l’IA était capable de parfaitement retranscrire tous les mots sans erreurs, il y a toujours un indicateur qu’elle ne prend pas en compte : les caractères par seconde.

En effet, un être humain n’est pas capable de lire, comprendre, analyser un texte qui défile à toute vitesse. Pour parler en termes simples, un texte, ça met du temps à monter au cerveau ! Et on veut laisser au spectateur ce temps-là, en tant que sous-titreuse de vidéos et même en tant que sous-titreuse en direct.

Tu as raison, pour sous-titrer des vidéos, passer derrière l’IA me prend beaucoup plus de temps que de le faire directement sur mon logiciel de sous-titrage adapté car on doit suivre beaucoup de normes pour faire en sorte qu’un sous-titrage soit accessible. Pour en savoir plus sur le sujet, vous pouvez lire cet article sur le sous-titrage accessible aux personnes sourdes et malentendantes.

Le risque d’erreurs est aussi plus élevé, car l’IA fait des erreurs qu’un humain ne ferait jamais (confondre un mot avec un autre, par exemple), donc la corriger nous demande une hyper vigilance qui peut parfois baisser. De plus, quand on est professionnel-le, on devient forcément plus rapides à sous-titrer et on acquiert des réflexes que n’ont pas les personnes dont ce n’est pas le métier. Il peut alors leur sembler plus rapide de sous-titrer en partant d’une base, même s’il faut la corriger, alors que ce n’est pas le cas des sous-titreurs professionnels.

Je pensais que ce serait très différent pour le sous-titrage en direct et qu’il serait beaucoup plus simple de corriger l’IA plutôt que de tout taper à la main. Mais c’était sans compter mes fameux caractères par seconde !

En effet, dans la plupart des configurations en direct (événements, séminaires etc.), les sous-titres n’apparaissent qu’un court instant à l’écran. 

Sur scène lors des Trophées h’up entrepreneurs, une interprète en langue des signes, une personne en fauteuil roulant avec une tablette, et une intervenante au micro incarnent l’inclusion. En arrière-plan,  une présentation est projetée sur grand écran avec des sous-titres en bas de l'écran.

© Crédit Photo : H'up entrepreneurs

Il faut donc que les spectateurs aient le temps de lire le texte, de regarder le contexte sur la scène et de comprendre ce qui se passe. L’enjeu n’est donc pas de mettre tous les mots qui sont dits à la virgule près, mais de produire un résultat clair, synthétique, en bref, lisible.

Cela implique donc forcément une reformulation des propos pour qu’ils soient lisibles à l’écrit dans un temps réduit.

Corriger l’IA en direct ne me permettrait donc pas cette flexibilité. De plus, si l’on corrige les fautes, comme c’est en direct, les spectateurs verraient forcément cette correction. Bien sûr, même sans IA, il nous arrive de faire des fautes de frappe ou de reprendre un mot ou une expression que l’on a mal écrit. Mais d’expérience, les spectateurs préfèrent me voir corriger une faute de frappe qu’un mot en entier qui n’aurait rien à voir.

Pour reprendre ton exemple “l’IA a sous-titré “il y a la réunion des déchets ce soir” alors que ça devrait être “il y a la réunion des duchesses ce soir””, si je devais corriger en direct cette IA, les spectateurs verraient s’afficher “il y a la réunion des déchets ce soir” (ce qui provoquerait sans doute l’hilarité), puis j’aurai à supprimer “déchets” et écrire “duchesses”, et entre temps, du texte aura continué de s’écrire, laissant passer peut-être d’autres fautes.

Pour finir, est-ce que tu aurais des conseils pour les organisateurs d’événements qui veulent mettre en place le sous-titrage en direct pour leur conférence, séminaire ou table ronde en présentiel ? Est-ce qu’il y a une configuration que tu préfères ?

Emmanuelle

Merci beaucoup pour tes explications qui sont très intéressantes. Personnellement, comme je suis sourde, je ne peux pas sous-titrer moi-même les vidéos sauf si on me fournit une transcription. Dans ce cas, je fais appel à l’IA pour faire les sous-titres et la synchronisation. Et ensuite, sur la base de la transcription, je corrige les fautes.

Peut-être qu'un jour on arrivera à combiner l’intelligence artificielle avec l’intelligence humaine dans les conditions du direct. J’ai déjà vu ce principe mise en place par certaines entreprises et je n’ai pas été convaincue. C’était très perturbant de voir corriger en direct les (multiples) erreurs de l’IA dans une phrase pendant que l’IA continuait à sous-titrer. Il nous faut lire à plusieurs fois la même phrase : avant et après correction. Cela demande de la gymnastique mentale. 

En tant que spectatrice, il est important pour moi que les organisateurs et organisatrices des événements mettent en valeur qu’il y a le sous-titrage en temps réel. Si vous ne communiquez pas là-dessus, vous pouvez être sûr que personne ne viendra. Plusieurs fois, on est venu me dire : “on a mis les sous-titres mais aucune personne sourde ou malentendante n’est venue”. Je leur demande s’ils avaient communiqué ou mis l’information en valeur sur leur site, ils m’ont répondu que non. Comment pouvons-nous être au courant si vous ne communiquez pas ? Nous ne sommes pas des devins !

Ensuite, j’ai ma configuration idéale ! Le surtitrage, c'est-à-dire le sous-titrage en haut de l’écran et non pas en bas de l’écran parce que s’il y a des personnes qui interviennent devant l’écran, on ne voit pas les sous-titres. L’avantage du surtitrage, c’est qu’on peut voir les sous-titres de n’importe où dans la salle, de loin comme de près. Et je vois toute la scène. Le fait qu’il y ait cette configuration permette à tout le monde de lire les sous-titres. On l’a dit tout à l’heure, les sous-titres profitent à beaucoup de personnes qu’elles soient handicapées ou non.

Sinon on peut afficher les sous-titres sur un autre écran dédié sur le côté de la scène. Dans ce cas, il faut informer le public de l'emplacement des sous-titres parce que si les sous-titres sont à droite et qu’on est placé à gauche, on ne pourra pas les voir correctement. 

Je ne suis pas fan d’avoir les sous-titres sur ma tablette ou mon téléphone. Mais il m’est arrivé de l’avoir. Je suis donc exclusivement concentrée sur mon téléphone, ce qui m’empêche de profiter de la scène. Je fais beaucoup d’aller-retour entre mon écran et la scène pour voir ce qui se passe sur scène et voir la présentation projetée. Je fais du ping-pong avec ma tête, je lève, je baisse, je lève, je baisse. Au bout d’un moment, ça fatigue… Et mon attention baisse progressivement. Je n’écoute plus.

Si vous avez besoin de conseils sur comment mettre en place le sous-titrage en direct à votre événement, n’hésitez pas à consulter le site Silence on Grimpe ! Vous y trouverez plein de ressources. Sinon, vous pouvez nous contacter directement.

Céline, je crois qu’on arrive au bout de notre article. On a dit beaucoup de choses. J’ai beaucoup apprécié d’écrire cet article avec toi. Je trouve que c’est un chouette exercice de l’écrire à 4 mains comme si on était en interview orale ou sur un podcast. Merci beaucoup d’avoir participé avec moi.

Céline

Merci beaucoup Emmanuelle, c’était très enrichissant de voir ta perspective et de lire tes conseils ! Je vais essayer de résumer en quelques points ce que nous avons partagé : 

  • Il y a une différence entre entendre et comprendre. Pour comprendre, les personnes ont besoin de lire sur les lèvres ou d’utiliser la suppléance mentale, ce qui est très fatigant. Les sous-titres en direct permettent d’alléger ce travail supplémentaire, de comprendre plus de choses qu’avec la lecture labiale seule et de diminuer la fatigue.
  • Les personnes sourdes ou malentendantes ne sont pas les seules à utiliser les sous-titres, on compte aussi les personnes qui n’ont pas accès au son, les personnes entendantes qui ont du mal à comprendre la langue des prises de parole, les personnes qui ont du mal à se concentrer, les interprètes, et puis finalement, la plupart des spectateurs à un moment ou un autre.
  • Mettre en place des solutions d’accessibilité permet d’ouvrir son événement à un nouveau public et de créer des vocations, comme la tienne de devenir oratrice !
  • L’accessibilité change la vie et permet de pouvoir assister à un événement comme tout le monde et de le partager avec ses proches. Elle permet aussi de sensibiliser, former et éduquer toutes les personnes qui en ont besoin.
  • Il y a une différence entre la transcription en direct faite par IA et celle faite par une professionnelle. L’IA ne fonctionne pas dans certains contextes, comme les grands événements, quand il y a du bruit autour ou encore quand le sujet est technique. Si elle se trompe, c’est aux personnes concernées de déchiffrer ce que l’intervenant a voulu dire. Le sous-titrage humain permet de ne pas faire ce travail supplémentaire.
  • Pour qu’un sous-titrage soit lisible, il doit respecter certains critères et normes, notamment le nombre de caractères qui s’affichent à la seconde.
  • En terme d’affichage du sous-titrage en direct, il est important qu’on puisse bien le voir : que personne ne soit devant, que la taille des caractères soit assez grosse, le fond contrasté et que l’on puisse voir la scène en même temps que les sous-titres.
  • Si vous avez mis en place du sous-titrage en direct, il faut absolument le communiquer pour que les personnes concernées sachent que l’événement leur est accessible.

Merci beaucoup de nous avoir lues et on espère que c’est un article en mode “regards croisés” vous a plu ! N’hésitez pas à nous dire ce que vous en avez pensé, vos questions et avis, vos retours nous sont très précieux !